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New Gate

( texto para la publicación “Freizeit” de Laurence Bonvin, 2009 )

 

 

 

I

 

A l’approche de l’aube, sans faire de drame, ils rentrèrent dans la pièce qui tenait lieu de bureau. Le ciel au-dessus de ma tête brûlait comme un casque d’acier. Plus personne à qui demander la suite des événements.

 

Je regardais la forme ancienne des reflets, son crâne – plus apparent que réel – les corps exposés à Surgeon’s Hall pour la dissection publique. La gravure avait jaunie. Il n’y a plus besoin de travailler dans le froid de la cour; ce soir nous allons dans la cellule du condamné.

 

Rasé, chemise, pantalon, chaussures noires, je lui montre un livre dont le titre m’avait frappé d’une intime incertitude. Un tas d’objets près de son fauteuil. Elle pense qu’elle partira avec, chez elle, dans le récit laissé à vif par son enfance; toute autre question, posée ou pas, dégénère vite en cauchemar.

 

Hier matin a été pendu à Newgate Michael Barrett, auteur de l’attentat de Clerkenwell, en présence d’un public venu en grand nombre. La pendaison ne différera des autres sauf par cette affluence de spectateurs dont le comportement fut répugnant.

 

    Rien ne peut calmer cette logique: demain je m’en vais.

 

 

II

 

 

L’ argument et la scène ne sont plus que les décors de la sauvagerie. Le condamné vaut pour ces quelques milliers qui ne valent qu’un seul. Dans la cellule, personne ne saura rien.

 

Oui, c’est sûr, tout ira bien, ne t’inquiète pas.

Il n’y a personne dans la chambre.

 

Il y a des lieux pour le voyage sans perte. La Nature y est représentée, aussi l’ancestrale disposition des sièges en gradin. Le jour de l’exécution n’importe quelle ville devient une foire grotesque où tavernes et bordels débordent et la chapelle est fermée. Elle ne s’en souvient pas, je lui dis: ce livre appartenait à ton oncle. Alors elle sourit.

 

Le sacerdote orthodoxe Mratnikovic nous dit que la neige couvrait la terre ce jour sans nuages. Des officiers, des soldats, trois places sur l’échafaud pour Vaso Cubrilovic, Misko Jovanovic et Danilo Ilic. Ça se voit dans les yeux l’épaisseur de la mémoire; le sourire n’est qu’un signe de reconnaissance, une inscription symbolique, je la regarde, elle a les yeux fixés sur les mots imprimés sur mon t-shirt. Old Bailey Street. La prison n’est plus là. Catherine Wilson: dernière femme à avoir été pendue à Londres; 1862.

 

Michael Barrett: dernier homme à être exécuté publiquement à Newgate, le 26 mai 1868.

 

 

III

 

 

Plus près, je lui serre la main; convulsion. Elle me laisse entendre qu’elle voudrait bien rentrer. Avant d’aller au lit, elle avait l’habitude de se pencher à la fenêtre de sa chambre, de regarder les prés assombris, de respirer profond l’air frais qu’elle aimait tant. Ceci fut sa seule compagnie durant bien des années. Je lis: la peur agit comme un acide. Je lis: qui n’a de valeur que par ce qu’il exprime ou ce qu’il évoque.    

    La pénombre ne dit rien. La pièce est devenue un lieu de signification vide où les objets limitent avec le mouvement d’une trop vaste extermination.

 

Encore une pendaison, en 1835, la dernière qui fut offerte à la foule dans l’Etat de New York. Sommeil, éveil, paupières closes, paupières, peu importe la ville, cette Nouvelle Porte.

 

Décapitation. Garrot. Fusillade. Chaise électrique. Chambre à gaz.

Barcelone, novembre 1897, Silvestre Lluis. Madrid, juillet 1890, Higinia Balaguer.

Mémoire, espace et plainte, aphasie.

 

Les causes exactes en sont encore inconnues. Boutiques de mode, coffee-shops, magasins de toutes sortes accueillent la foule qui se décompose à chaque gorge commerçante. De toute mesure le constat, en quelques secondes, en est réduit à sa fin.