Skip to content

s / t

( texto para el catálogo de la exposición en la Mashrabia Gallery, El Cairo, 1992 )

nueva versión 2015

 

 

Les jambes pliées, croisées en arrière sur le tapis ovale, près de la table de nuit. Les ombres des briques, de la fumée, les ombres parfois carrées, parfois comme de brindilles noires, nerveuses, comme de sillons très fins sur le visage. Dans le rêve je dormais profondément; après le départ, la chambre est devenue un lieu clos.

 

Les volets ouverts sur la façade arrondie après sur les balcons, les rideaux d’un blanc gelé, arrêté sur les vitres; un souvenir de haut-parleurs, de feuilles, de fenêtres, se succède sur la grille: gris de fer usé, gris denté sur ses marges par les herbes et le gravier, le même gris des vagues, le gris des rails; elle prend un petit sac en toile, la valise aux carrés rouges et noirs reste quelques instants sur la moquette.

 

Le couloir se redessine sur le bras du fauteil. Les mots détournent le parcours et le son cesse, le mouvement, le grincement, le sommeil, tout semble être interrompu, en attente. Je me penche vers la droite, je regarde le sol, le mouvement recommence, le bruit aussi, le même rythme, la même incision. Un reflet clignote à grande vitesse couvrant le métal, le miroir, le linge qui s’éclaire faiblement, argenté; la baie est restée derrière les bâtiments, les troncs des arbres, le scalpel qui les découpait de la mémoire.

 

Alors la chambre devient transparente, le lit, les livres, les objets dispersés un peu partout, partout un peu secoués, point par point, tissant le silence aux pensées, le geste au dessin, le corps à l’architecture du corps et la nuit, démeurée en sa cadence, aux fils de lumière qui se brouillent sur ma veste; toujours le bruit du train comme celui d’une machine à coudre, les deux traces d’une même ligne, seule visible dans l’événement incité par le regard.

 

Je m’endors et j’entends une parole bornée de murmures ( quai numéro quatre, numéro sept, numéro un peut-être celui rayé comme une banne, celui teinté par les phares et les vitrines, les bistrots et les terrasses, les rues luisant jour et nuit d’un même caractère; la promenade où les moignons des platanes – je me souviendrai plutôt, me disais-je, des sacs poubelles au bout de leur capacité, des gros tas de planches moisies et de la cendre, surtout de la cendre qui sentait la peau d’un fruit pourri; je me souviendrai de la frange de béton humide et des dalles, du temps qu’elles mettaient à sécher après le nettoyage de la salle de bain – et la pâleur des mimosas couronnaient ce sentiment qui conduit, d’un souvenir à un autre, les images dont on n’est jamais capable d’assurer la face légitime. )

 

Le balcon découpe maintenant la fragilité de l’air dans sa tonalité de cerise, d’amande, de linge plié sur les plis des draps. Le compartiment est vide et j’arrive à peine à retenir le poids d’un corps que je ne vois plus. Derrière les rideaux, les stores, derrière le besoin de voir autre chose que le fourmillement sur le quai, je devine les formes par la raison de leur mouvement, je poursuis du repos du siège le paysage et la frontière du paysage à la vitesse imprimée par le glissement de plaines, des montagnes, des villes.

 

Comme la tôle de l’après-midi sur le jardin.

 

Et l’adresse menacée par les jeux des vacanciers et des vagues, la bouche un peu séparée du reste, le creux d’une lueur ultime, presque infinie, cette journée où les trottoirs semblent plus larges, plus épais, encore plus solides à l’évanouissement de la lumière.

 

Je quitte le village ou peut-être faut-il le nommer ville puisque je n’ai jamais su combien d’habitants il avait, combien de rues, quelle extension, dehors, plus loin, sur la colline, au-delà des marroniers, à l’autre bout de la plage, combien de familles peuplaient les maisons, les salles à manger, sortaient le soir, sur combien de places combien de paroles sur les murs, sous le ciel qui vers minuit se comprimait en un seul nuage.

 

Le regard trace ce qui n’est pas mais son motif, une succession pointée par le fer, la courbe du dos reliée aux yeux, gris comme le papier de la chambre. La fenêtre resta ouverte pendant que la nuit réveillait la ligne brièvement interrompue par les arbres, le bleu arpenté par les étoiles dessinées en quelques traits sur la table.